« C'est déjà bien d'être vivants, d'autres sont morts en Syrie »
Dans le petit hôtel de Belsunce, une table avec quelques jus de fruit et des madeleines a été installée pour les nouveaux arrivants. Depuis leur sortie du centre de rétention, dimanche soir, c'est ici qu'ont été logés cinq couples de réfugiés kurdes avec leurs enfants, dix au total, le plus jeune n'ayant que neuf mois.
Tous faisaient partie du groupe de 123 réfugiés découverts vendredi sur une plage de Corse. Fatiguées mais soulagées, après un passage au centre de rétention, ces familles attendent désormais de pouvoir faire leur demande d'asile. « On les trouve assez confiants, ce sont des jeunes qui savent pourquoi ils sont partis », souligne Jean-Pierre Cavalié, délégué régional de la Cimade, l'une des associations qui les aident dans leurs démarches.
Hussein respire un peu. A 32 ans, il a embarqué sa femme et ses quatre enfants, âgés de 2 à 10 ans, pour une traversée éprouvante de treize jours pour atteindre la Corse. « On a passé deux jours sur la plage, mais on avait faim, explique-t-il. On a alors cherché un chemin pour arriver jusqu'en ville et on a fini par trouver une route d'asphalte. Là, la police nous a récupérés. » Sans regret. « C'est déjà bien d'être vivants. D'autres sont morts en Syrie. »
Pas de papiers d'identité, pas de sécurité sociale, pas de possibilité de travailler : pour Chergo, 32 ans, lui aussi arrivé vendredi, il devenait impossible de vivre en Syrie. « J'ai essayé de suivre la fac de droit pendant deux ans, mais j'ai abandonné. De toute façon, je n'aurais pas pu travailler avec mon diplôme », raconte ce trentenaire originaire de Dirik, un petit bourg près de Kamichli, au nord-est de la Syrie. Après des emplois dans la maçonnerie puis dans la restauration à Damas, où il a appris l'anglais, la situation était devenue intenable.
« Lorsque le fils de l'ancien président [Hafez el-Assad] a pris le pouvoir en 2000, on a cru que les choses allaient changer pour les Kurdes. Mais cela a été pire, assure-t-il. On a même plus le droit d'acheter un appartement ou de célébrer nos fêtes. » Alors, Chergo a décidé de fuir avec sa femme et ses deux enfants de 6 ans et 11 mois. Pour cela, il a payé « environ 30 000 dollars ». Après un voyage en avion depuis le Liban jusqu'en Tunisie à l'aide de faux papiers, ils ont embarqué en bateau un mois et demi plus tard pour un périple qui les a menés jusqu'en Corse. « Je vais demander l'asile en France et j'espère que cela va être accepté, poursuit-il. Pour la première fois de ma vie, je peux parler comme je veux. En Syrie, il n'y a que devant le dentiste que l'on peut ouvrir la bouche. Que la France me donne juste une petite tente et un matelas pour mes enfants. Mais déjà, aujourd'hui, je sens que je suis un homme libre. »
Stéphanie Harounyan