Fwd: [Vaud] Tous dehors... de Frambois!

LE COURRIER

Tous dehors... de Frambois!

Paru le Mercredi 31 Mars 2010 - MICHAËL RODRIGUEZ

Les autorités vaudoises s'apprêtent à expulser un requérant d'asile béninois et à l'arracher à sa fille de 7 ans. Le scénario va bientôt devenir d'une terrifiante banalité. Il y a moins d'un mois, un jeune papa devait être renvoyé de force en République démocratique du Congo. La veille du vol spécial à destination de Kinshasa, il a été libéré in extremis sur ordre des autorités fédérales. Le canton, lui, n'avait pas levé le petit doigt pour défendre l'intérêt de l'enfant à avoir près de lui ses deux parents. L'irruption de la violence d'Etat dans la sphère familiale montre que, pour les autorités, certains habitants de ce pays ne sont pas dignes d'avoir accès au degré le plus élémentaire de la vie en société.

Au-delà de la trajectoire personnelle du jeune Béninois et de sa fille, l'affaire est emblématique de la dérive de la politique migratoire helvétique. La stratégie consistant à morceler la situation des migrants, à la découper en catégories et en procédures toujours plus nombreuses et plus étroites, ne doit pas faire illusion. «NEM» rabaissés à une condition indigne, au seuil de la misère; «cas Dublin» expulsés sans avoir pu faire usage de leur droit de recours; sans-papiers bientôt privés de mariage; requérants déboutés arrachés à leur famille; renvois manu militari qui aboutissent même parfois à la mort: aujourd'hui, le stade des incidents isolés est largement dépassé.

Parler de dérapages serait également bien trop faible face à un phénomène qui prend l'aspect d'un véritable système. Sur le papier, les droits fondamentaux subsistent, mais ils sont rendus de plus en plus inapplicables par la consécration d'un droit d'exception dans le domaine migratoire. Sous l'influence du discours politique hostile aux étrangers, les administrations publiques deviennent trop souvent des laboratoires pour ces réformes liberticides. On l'a vu notamment avec l'interdiction du mariage pour les sans-papiers, que le Valais a anticipée en dehors de tout cadre légal.

Cette évolution néfaste pourrait s'étendre rapidement à d'autres catégories de la population. N'oublions pas que, dans la loi fédérale sur les étrangers, le fait de toucher l'aide sociale est quasiment assimilé à un délit. C'est en effet un des motifs, aux côtés de la condamnation à une peine de prison de longue durée et de l'atteinte grave et répétée à l'ordre public, qui justifie le retrait de son permis de séjour à un étranger. La rhétorique des «abus» de l'aide sociale montre que certains préparent déjà le terrain à de nouvelles attaques contre les classes les plus démunies.

Il ne faut pas attendre d'en arriver là pour travailler à enrayer cette dangereuse machine. Et commencer par exiger une levée sine die des mesures de détention administrative. Outre qu'elles sont indignes en soi, puisqu'elles permettent d'enfermer jusqu'à deux ans des personnes qui n'ont commis aucun crime, elles sont entachées par les récents abus de la violence d'Etat. La justice dans ce pays gagnerait à coup sûr à une libération de tous les innocents détenus à la prison genevoise de Frambois.



Ces familles désintégrées par un renvoi

Paru le Mercredi 31 Mars 2010 - MICHAËL RODRIGUEZ    

MIGRANTS - Le canton de Vaud s'apprête à priver une fillette de son père, requérant d'asile béninois en instance de renvoi. Le grand-père maternel de l'enfant, un Fribourgeois, interpelle les autorités.

«Ma petite-fille souffre de plus en plus de l'absence de son père. On est en train de détruire sa vie!» C'est un véritable cri d'alarme que lance Bernhard Hugo, un jeune retraité établi à Domdidier dans la Broye fribourgeoise. Grand-père d'une enfant de sept ans, il ne supporte pas de la voir privée de son père, un Béninois détenu dans l'attente de son expulsion.

Lettre aux autorités

Bernhard Hugo a envoyé récemment une lettre au ministre vaudois Philippe Leuba et à la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf pour plaider en faveur de Dieudonné, le père de la fillette. Le 27 mars dernier, la Ligue suisse des droits de l'homme et la Coordination asile lui ont emboîté le pas.

«En renvoyant Dieudonné, vous punissez non seulement le requérant débouté mais aussi sa fille, qui «perdra» son père à un âge où tout le monde reconnaît l'importance des liens parentaux», écrit Bernhard Hugo. Depuis plus d'un mois, le jeune papa est incarcéré à la prison de Frambois, à Genève. Il aurait probablement déjà été renvoyé si les vols spéciaux n'avaient été suspendus par les autorités fédérales suite à la mort d'un requérant d'asile nigérian le 17 mars dernier.

Des zones d'ombre

Même si sa fille est séparée du jeune Béninois, Bernhard Hugo a décidé de se battre pour lui comme s'il était son beau-fils, à la fois parce qu'il a «appris à l'apprécier» et en raison de «la relation très forte» de l'enfant avec son père. Le retraité est bien placé pour en juger, puisqu'il vit sous le même toit que sa fille et sa petite-fille, dans la ferme familiale de Domdidier. La mère de la fillette confirme que Dieudonné entretient un lien étroit avec cette dernière. «Ce serait mieux pour elle qu'il reste ici et qu'il puisse travailler», juge-t-elle.

Le parcours de Dieudonné n'est pourtant pas sans zones d'ombre. Lorsqu'il raconte son histoire, le jeune Béninois ne cherche d'ailleurs pas à dissimuler ses démêlés avec la justice. C'est spontanément qu'il relate – tout en clamant son innocence – sa condamnation à 18 mois de prison avec sursis en 2005, pour trafic de drogue. En 2008, il a aussi été pincé en possession d'un faux passeport français, ce qui lui a valu de passer deux mois à la prison de la Croisée, à Orbe.

«Je fais tout pour m'en sortir, affirme Dieudonné. Mais on ne me laisse pas ma chance.» D'abord celle d'avoir une vie professionnelle. A son arrivée en Suisse, en 2002, le jeune Béninois a trouvé un emploi, mais il a dû le quitter huit mois plus tard suite au rejet de sa demande d'asile. En 2005, il a entamé une nouvelle démarche de régularisation. «Les autorités m'ont dit que je devais avoir un emploi et une adresse de résidence.» Dieudonné obtiendra finalement un logement et une promesse d'engagement dans une pizzeria à Villeneuve. En vain: la réponse des autorités est négative.

Droit à la famille menacé

Les antécédents judiciaires du père ne changent rien au problème de fond: est-il acceptable de punir un enfant en le privant d'un de ses parents? L'histoire de Pitchou, un jeune papa congolais libéré in extremis après une demande de réexamen à Berne, avait déjà fait craindre une violation du droit à la famille.

La Convention relative aux droits de l'enfant veut que les Etats «veillent à ce que l'enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré», sauf si son intérêt supérieur l'exige. Et dans le cas où il y aurait tout de même séparation, il s'agit de respecter «le droit de l'enfant (...) d'entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents».

Qu'en serait-il si Dieudonné était expulsé? «C'est dramatique, lance Laurent de Mestral, avocat du jeune homme et ancien juge cantonal. Avec un renvoi, l'enfant ne verra plus son père. D'ici qu'il obtienne un visa depuis le Bénin pour rendre visite à sa fille, il se passera beaucoup de temps!» I