Mon histoire en centre de rétention en France




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Gil Ndjouwou Moutimba, Étudiant gabonais

Sans-papiers, mon histoire en centre de rétention

Publication: 14/03/2012 08:59
http://www.huffingtonpost.fr/gil-ndjouwou-moutimba/centre-retention-sans-papiers_b_1343834.html?view=screen

On entend régulièrement parler des "sans-papiers" , ces immigrants illégaux qui fuient la misère de leur tiers-monde pour s'installer dans des conditions rarement légales dans ce pays où l'on trouve aisément du travail; où l'on est grassement payé en comparaison avec son pays d'origine et où il neige l'hiver. Ces gens sont facilement reconnaissables à leur français balbutiant et clairement marqué d'un accent étranger, à leur regard fuyant et aux activités qu'ils exercent (vendeur à la sauvette, ouvrier de chantier) en toute illégalité. La majorité des gens intérrogés vous parleront des "sans-papiers" en des termes proches de ceux-là. Bien que je sois en situation irrégulière depuis un bon bout de temps, je ne m'étais jamais rangé dans cette catégorie-là, j'ignore vraiment pourquoi. J'avais certainement une trop haute idée de moi-même et refusais par vanité de me considérer comme tel. Avec un regard rétrospectif, je dirais que j'ai certainement fait preuve de négligence dans la gestion de ma situation et que je me suis "habitué" à vivre dans l'illégalité. Cette idée était toujours là, dans un coin de ma tête, plus ou moins oppressante selon les jours, selon l'humeur, et je me suis accomodé de cette situation qui pouvait basculer à tout moment. Au bout d'un certain temps, l'idée qu'on ne pourra jamais être pris s'installe. Vu qu'on ne vit pas reclus, qu'on sort, qu'on voit des gens, qu'on a des activités quotidiennes "normales", qu'on fréquente des gens en situation régulière, on finit par croire sans véritablement le réaliser qu'il n'y a aucun problème vraiment urgent à régler. Je vivais dans cette bulle d'incertitude et de rejet périodique de cette priorité d'être en règle. Jusqu'à mardi 6 mars au matin.

J'avais déjà fait quelques covoiturages avant entre Paris et Reims mais n'avais jamais rencontré de contrôle de gendarmerie sur l'autoroute. La voiture où je me trouvais garée sur le bas-côté, le gendarme vérifie les papiers qui lui sont présentés. Il m'annonce au bout de quelques minutes qu'il doit garder les miens pour de plus amples vérifications. Je ne me fais aucune illusion sur le résultat de ces vérifications et ne manifeste aucun refus lorsqu'il me notifie que je vais immédiatement être placé en garde à vue. J'embarque dans la voiture de la gendarmerie et suis conduit à la gendarmerie de Chelles. Les gendarmes me disent que ce ne sont que des vérifications de routine et que si tout se passe bien, je serais sorti en milieu d'après-midi. Je ne m'autorise pas pour autant à espérer et attends de voir ce qui va se passer.

Une vingtaine de minutes de trajet et on arrive à Chelles. Le poste de gendarmerie est un bâtiment peint en blanc à l'architecture peu recherchée, vaguement moderne. L'intérieur manque tout autant de personnalité et a ce côté aseptisé d'un hôpital. J'essaie de m'éloigner mentalement de l'endroit où je suis, des différentes issues possibles à ma situation. Je serais, je pense, de toute façon, assez vite fixé. Mon téléphone m'a été retiré, j'ignore l'heure qu'il est et ne peux pas estimer le temps depuis lequel je me trouve là. Le gendarme qui s'occupe de mon cas se montre plutôt sympathique à mon égard, me demande au bout de quelques échanges s'il peut me tutoyer et fait quelques plaisanteries qui détendent l'atmosphère. Il répond à toutes mes interrogations concernant la procédure en cours avec un enthousiasme apparent. Là encore, je me demande en quoi ça pourrait m'être utile. La réponse ne tarde pas à tomber: à rien. La décision de m'envoyer en centre de rétention vient d'arriver. Mon futur compagnon de chambre connaît le même sort que moi. On nous informe que nous serons emmenés au centre dans moins d'une demi heure, après avoir effectué quelques formalités, des documents sur lesquels il faut apposer plusieurs signatures. Aucun autre jour de ma vie je n'ai signé autant de fois, à tel point que j'avais plus l'impression de faire des gribouillis vidés de signification qu'autre chose.

Lorsque le gendarme qui m'a annoncé mon transfert de la garde à vue au centre de rétention a évoqué le nom de Sangatte à titre de comparaison avec l'endroit où on allait m'emmener, je dois bien admettre que je n'étais pas du tout rassuré. Pendant le trajet de Chelles au CRA, j'ai tout imaginé: promiscuité, insalubrité, violences et vols, tension permanente, surpopulation. Je n'avais, de plus, jamais entendu parler de cet endroit et j'en ai déduit que s'il était si peu connu c'est qu'il devait s'y passer des choses pas très belles. Je profite aussi du trajet pour contacter quelques proches et les informer sur ma situation. Ils sont surpris, c'est normal, et me font part de leur inquiétude d'une façon qui m'enfonce dans la peur de cet endroit inconnu où je vais devoir vivre pendant une durée indéterminée. Je tente malgré tout de les rassurer et de contenir mon inquiétude tant que je peux. Arrivés au centre, je poste encore quelques messages sur mon compte Twitter, sachant que je serai dépossédé de mon téléphone sous peu. J'essaye de ne pas dramatiser et fais de l'humour, ne sachant pas trop comment formuler la chose brièvement. Quelques minutes d'attente, puis quelques documents à signer, encore. Ensuite, direction la fouille pour retenir tous les objets qui ne sont pas admis à l'intérieur du centre. La moitié du contenu de mon sac y restera, ainsi que mon téléphone.

Il m'est ensuite remis une carte d'identification avec état civil, photo et informations relatives à ma rétention. Sans trop réfléchir, je demande au policier qui m'a à sa charge pour le moment si je pourrais garder cette carte une fois sorti d'ici. Il part dans un grand éclat de rire, m'accorde ce regard bienveillant qu'on a habituellement pour un enfant qui vient de faire une espièglerie et me réponds que "ça dépendra de la personne qui sera à ce poste" au moment où je sortirai. Il en profite pour m'expliquer de façon générale comment fonctionne le centre, puis me confie à un policier qui m'emmène prendre du linge de lit et me guide vers ma chambre. Il continue de me donner quelques notions de base sur le fonctionnement du centre et j'en profite pour glisser quelques plaisanteries. Je me suis très souvent réfugié dans l'humour, pour prendre de la distance avec les évènements. S'il devait arriver, le temps de se lamenter viendrait de toute façon et il ne serait pas pratique de l'avancer. Je pénètre pour la première fois dans la grande cour de l'établissement, partitionnée par plusieurs murs de grillages. Je partage ma chambre avec Nasser, l'Algérien gardé à vue en même temps que moi. Celle-ci est composée d'un lit à deux couchettes superposées, d'une table et de deux chaises fixées au sol, de deux placards/penderies, le tout en métal et peint dans des couleurs criardes, comme des meubles de classe maternelle. Je fais mon lit et j'essaye de m'approprier les lieux. Nasser n'avait pas son chargeur de téléphone sur lui, nous allons donc à la recherche de quelqu'un en possédant un compatible avec le sien, autorisé dans le centre puisque ne disposant pas d'appareil photo. C'est de cette façon-là que nous aurons nos premiers contacts avec les autres retenus. Dès que nous sortons dans la cour, de nombreux regards se posent sur nous, regards insistants qui mettent rapidement mal à l'aise. On est "nouveaux" et on attire l'attention. Affreusement gênés à ce moment, c'est pourtant le même regard que nous accorderons aux nouveaux qui arriveront le jour suivant, sans nous en rendre compte. Aucune personne que nous croisons ne nous adresse la parole mais on ne peut pas lire de sentiment négatif à notre égard sur leur visage. La deuxième vraie rencontre avec les autres retenus aura lieu au moment du repas du soir. Pris, évidemment, à une heure fixe, il oblige tout le monde à être dans la même pièce pendant trois quart d'heure. A l'entrée du réfectoire, contrôle d'identité par les policiers, une croix est marquée sur une liste devant notre nom puis on nous remet un plateau repas en carton sur lequel repose déjà l'intégralité de notre repas : entrée, viande ou poisson et légumes, accompagné d'un fruit, d'un yaourt et d'une miche de pain. Personne ne se plaint de ce repas et peu de gens laissent des restes. Le chariot qui porte les plateaux dispose de vingt-quatre étagères et il est rare qu'il soit nécessaire d'en apporter un supplémentaire. Etant donné qu'il y a deux réfectoires pour les hommes, j'en ai déduit que nous devons être une cinquantaine retenus à ce moment-là au CRA 2.

Nasser et moi nous asseyons l'un en face de l'autre, au bout d'une des longues tables en métal. Certaines personnes se saluent, se regroupent pour manger. Beaucoup de regards dans notre direction. Encore une fois nous ne savons pas trop de quelle façon réagir et essayons de faire comme si on ne s'apercevait de rien. Après le repas, beaucoup de gens traînent dans la cour, fument une cigarette, sont assis sur les bancs, se parlent entre les grillages. Il y a souvent des groupes réunis de part et d'autre du grillage qui sépare la section des hommes de celle des femmes. Là, je constate qu'il y a dans leur cour un toboggan et un animal à bascule, semblables à ceux que l'ont peut voir dans les parcs municipaux. L'idée qu'il puisse y avoir des enfants ici ne m'avait pas effleuré l'esprit jusqu'à présent mais semble bien être une réalité. Je n'en verrai aucun pendant tout mon séjour. Une fois rentrés dans nos sections respectives, on se rapproche de ceux avec qui on la partage, non sans une certaine appréhension. Les discussions se débrident pourtant bien vite et en peu de temps, chacun est amené à parler des conditions de son interpellation, de sa vie à l'extérieur, des journées qu'on a passé. Certains ne nous adressent pas la parole et semblent nous jauger du regard. Nous ne restons pas bien longtemps et repartons vers notre chambre. Entre ces quatre murs et sous l'éclairage cru des lampes de plafond, la réalité se fait plus implacable que jamais. L'idée que l'on est en réclusion s'impose avec force et conduit à se poser beaucoup de questions. Je suis épuisé mais je n'ai pas envie de dormir. Je me mets donc à rédiger les notes qui m'aideront à constituer ce billet, ce qui m'occupera pendant une paire d'heures. Une fois cette tâche terminée, je ne me résous toujours pas à me laisser emporter par le sommeil. Je ne connais pas les lieux, les portes ne ferment pas à clé et je m'imagine qu'un autre retenu pourrait faire irruption dans notre chambre à n'importe quel moment. Cette idée m'empêchera de dormir toute la nuit, bien moins que les ronflements gras et réguliers de Nasser, qui me confiera au réveil s'être très bien reposé.

Ce premier réveil fut un moment difficile à vivre. Je n'ai pas éteint la lumière de la nuit, incapable de supporter l'obscurité de ce lieu que je ne connais pas. A part quelques personnes que j'ai entendues circuler dans le bâtiment, certainement pour se rendre aux toilettes, la nuit a été calme. La proximité avec l'aéroport Charles de Gaulle fait qu'on entend et voit à toute heure du jour ou de la nuit beaucoup d'avions passer à basse altitude, au point qu'on peut lire sans plisser des yeux le nom de la compagnie inscrit dessus. Un moyen très efficace de nous rappeler à tout moment quelle pourrait être l'étape finale de notre séjour dans ce centre. Aujourd'hui va démarrer notre première journée dans le camp: petit déjeuner puis possibilité d'accès à la fouille (le lieu où je pouvais avoir accès à mon téléphone portable et à Twitter) et à l'infirmerie, suivi de l'ouverture des bureaux de la Cimade et de l'OFII pour ce qui est respectivement des démarches juridiques et de quelques services (achat de recharges téléphoniques, réception de mandats postaux, etc). Les files d'attentes sont longues et on passe beaucoup de temps dans le couloir. On en profite pour faire connaissance, un peu forcés par la promiscuité des lieux. Chacun a été interpellé dans des conditions différentes, chacun en est à un niveau différent des procédures, chacun à une opinion différente sur sa présence en ces lieux. Toutes ces expériences partagées donnent lieux à de nombreuses discussions animées. Untel vous conseille de fournir telle pièce plutôt qu'une autre, un autre vous recommande d'éviter de mettre tel fait en avant, de prendre un avocat... Chacun y va de sa recommandation. Mon tour venu, je me présente au bureau de la Cimade et explique ma situation. On me propose les différentes opportunités qui s'offrent à moi, bien minces il faut dire. L'employée rédige néanmoins un recours à envoyer au tribunal puis, en attente de pièces complémentaires, me demande de repasser demain matin pour le finaliser. C'est à ce moment-là qu'après avoir évoqué mes messages postés sur Twitter, elle me propose d'utiliser son ordinateur quelques minutes, ce qui me permettra de constater pour la première fois l'ampleur qu'a pris mon histoire. Elle envoie mon recours au tribunal et je reçois une convocation assez rapidement. Pour la suite, j'éviterais de rentrer dans des détails que j'ai déjà évoqués sur mon compte Twitter et qui ont été relayés dans de nombreux articles de presse.

Médiatisation oblige, beaucoup a été dit et écrit au sujet de ce que je vais appeler "mon histoire au CRA". Je n'ai pas de sentiment particulier par rapport à tout ça. Je suis reconnaissant envers ceux qui ont massivement diffusé l'information, même si je peux difficilement le montrer. Par un, on en conviendra, heureux concours de circonstances couplé à la bonne volonté de plusieurs personnes, mon témoignage a pu avoir une portée beaucoup plus vaste que je ne l'aurais jamais imaginé. Je reconnais parfaitement ce qui m'est reproché et je l'accepte, des lois ont été appliquées, des gens ont fait leur travail. Je suis, il faut bien le dire, toujours en situation irrégulière, et après réflexion je commence à penser que cette exposition médiatique pourrait me causer à terme plus de tort que de bénéfice. Mais s'agit-il ici seulement de moi, de ma petite personne? Je n'ai pas le sentiment d'être un héros ou un porte-parole d'une quelconque cause. Je ne possède, de fait, aucun pouvoir. En quelle qualité je m'exprime ici? A part celle de "sans-papiers" , je n'en vois aucune autre. Est-ce qu'elle m'apporte une légitimité quelconque? Je vous laisse en juger. Nous sommes tous libres d'accorder de l'importance ou du mépris à ce que l'on veut, tant qu'on en assume les conséquences.

Je terminerais ce billet en citant une phrase que j'ai entendu d'un retenu, réflexion faite par rapport à la rigidité de certains policiers qui m'a beaucoup amusé: "si la procédure était une religion, toute la fonction publique prierait à son église." Elle n'a rien à voir avec le fond de ce que j'évoque dans ce billet mais je trouve qu'elle illustre particulièrement bien l'atmosphère dans laquelle baignait le centre pendant ces quatre jours où j'y ai vécu, ces traits d'humour cinglants perdus au milieu de cette jungle de décisions de justice fermes et d'histoires de vie toutes plus singulières les unes que les autres.

Lire notre article : "Gil Juwu, étudiant et sans papiers, raconte sa rétention sur Twitter"